MISE EN GARDE : Ordonnance de non-publication en vertu de l’article 486.4(1) C.cr. : il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité d’un plaignant ou d’un témoin.
[1] Le Procureur général du Québec et la poursuivante se pourvoient contre un jugement rendu le 16 septembre 2020 par la Cour du Québec, Chambre criminelle et pénale, (l’honorable Stéphane Godri), district de Longueuil, lequel déclare inopérante à l’égard de l’intimé la peine minimale d’un an d’emprisonnement prévue à l’alinéa 152a) C.cr. et le condamne à une peine d’emprisonnement de 90 jours à être purgée de façon discontinue assortie d’une probation de deux ans[1].
[2] Pour les motifs du juge Gagnon, auxquels souscrit le juge Kalichman, LA COUR :
[3] ACCUEILLE la requête pour permission d’appeler de la peine;
[4] ACCUEILLE l’appel de la poursuivante;
[5] ANNULE la peine de 90 jours à être purgée de façon discontinue infligée à l’intimé;
[6] CONDAMNE l’intimé à une peine de 15 mois d’emprisonnement de laquelle doit être déduite la peine de 90 jours déjà purgée;
[7] SURSEOIT à l’exécution de la peine et à la réincarcération de l’intimé;
[8] ANNULE la déclaration rendant inopérant l’article 152 C.cr. à l’égard de l’intimé;
[9] MAINTIENT les autres conclusions du jugement dont appel;
[10] DÉCLARE l’appel du Procureur général du Québec sans objet;
[11] Pour sa part, la juge Bélanger aurait substitué à la peine prononcée en première instance une peine de six mois d’emprisonnement tout en suspendant l’exécution de la peine. Elle aurait aussi déclaré cette peine inapplicable constitutionnellement à l’intimé et aurait rejeté l’appel du Procureur général du Québec.
[…]
[118] Cette affaire me donne l’occasion de réitérer l’importance que la société en général et les tribunaux en particulier ont toujours accordée à la protection des enfants et le besoin d’harmoniser les peines en fonction de cette conception sociétale, comme nous y invite d’ailleurs l’arrêt Friesen[66].
Une norme culturelle qui tolère une conduite contraire au droit criminel canadien ne doit pas être considérée comme un facteur atténuant lors de la détermination de la peine.
[123] Tout d’abord, la responsabilité morale de l’intimé et les torts subis par la victime ne peuvent être atténués en raison de ses origines, cela va de soi :
« [C]ultural norms that condone or tolerate conduct contrary to Canadian criminal law must not be considered a mitigating factor on sentencing »[68].
Il ne fait aucun doute dans mon esprit que toute personne œuvrant dans le milieu scolaire et gravitant autour d’une clientèle composée essentiellement de personnes mineures devient de facto une personne en situation de confiance au même titre que l’est un gardien ou un animateur.
[…] A person who is regarded by the parent or guardian of the child, and/or by the child, to be a responsible person, relied upon to do the right thing vis à vis the child, is generally in a position of trust.
[141] Il ne fait aucun doute dans mon esprit que toute personne œuvrant dans le milieu scolaire et gravitant autour d’une clientèle composée essentiellement de personnes mineures devient de facto une personne en situation de confiance au même titre que l’est un gardien ou un animateur. En ce sens, un concierge régulièrement en contact avec des personnes mineures constitue une personne en situation de confiance pour ces enfants en ce qu’ils doivent pouvoir compter sur la bienveillance et la sollicitude de cet adulte si leur situation à l’école s’avérait compromise.
[142] Cela dit, je reconnais d’emblée que la situation de confiance découlant du travail d’un concierge en milieu scolaire est généralement moindre que celle, par exemple, d’un enseignant. En cette matière, tout est une question de contexte. Cependant, il ne faut pas perdre de vue que, dans la présente affaire, c’est justement le travail de l’intimé en milieu scolaire qui a été l’occasion d’abuser de la confiance d’une enfant[82]. Voici comment la victime décrit cette réalité :
[…]
[143] La situation de confiance reliée à la tâche de l’intimé ressort également du témoignage de la mère de la victime :
[…]
[144] Au fil du temps, la confiance de la victime envers l’intimé a progressivement évoluée au point de développer des sentiments envers ce dernier avec comme conséquence d’augmenter l’état de vulnérabilité émotionnelle de l’enfant :
[…]
[145] Il est vrai qu’il ne faut pas confondre la vulnérabilité émotionnelle de la victime avec la position de confiance dans laquelle se trouvait l’appelant. Il n’en demeure pas moins que l’attitude délibérée de l’intimé envers la victime a conduit à l’exploitation de sa vulnérabilité. Quoi qu’il en soit, ce passage de l’arrêt de la Cour d’appel de l’Alberta dans l’affaire R v. EJB trouve ici application avec beaucoup de justesse :
[13] […] A person who is regarded by the parent or guardian of the child, and/or by the child, to be a responsible person, relied upon to do the right thing vis à vis the child, is generally in a position of trust.[86]
[146] La jurisprudence enseigne aussi qu’un enfant souffrira sans doute encore plus lorsqu’un degré de confiance élevé s’installe entre lui et son agresseur[87].
[147] Le juge commet donc une erreur de droit en concluant que l’intimé « ne tenait pas un rôle à l’école où la confiance était en jeu » et que la relation de confiance développée par ce dernier est « le fruit du hasard »[88]. À l’occasion de son travail, l’intimé a plutôt transformé le « hasard » en une occasion d’agir.
Les facteurs de dissuasion et de dénonciation applicables aux peines infligées pour des infractions perpétrées à l’égard des enfants ne sont pas des considérations d’ordre général, mais doivent plutôt faire partie des considérations prioritaires du juge (« primary consideration ») au moment de façonner la peine.
[157] Le législateur a expressément invité les juges appelés à infliger une peine pour une infraction perpétrée à l’égard des enfants à accorder une attention particulière (« primary consideration »)[95] aux objectifs de dénonciation et de dissuasion, et ce, dès les premières étapes de leur analyse[96].
[158] Dans sa décision, le juge énumère les principes directeurs applicables en matière de peine sans toutefois indiquer la considération qu’il entend leur accorder pour la suite des choses. Il écrit :
[20] Toute peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’accusé. Celle-ci doit également tenir compte des principes d’individualisation, d’harmonisation et de modération. Les articles 718 et suivants du Code criminel encadrent l’ensemble du processus d’imposition de la peine à l’égard d’un accusé. On y prévoit entre autres que les infractions d’ordre sexuel commises à l’égard d’une personne âgée de moins de 18 ans doivent mettre de l’avant les facteurs de dissuasion et d’exemplarité.[97]
[Soulignement ajouté]
[159] Le but ici n’est pas de s’arrêter à des vétilles rédactionnelles qui auraient pu échapper au juge, mais bien plutôt de rappeler que les facteurs de dissuasion et de dénonciation applicables aux peines infligées pour des infractions perpétrées à l’égard des enfants ne sont pas des considérations d’ordre général, mais doivent plutôt faire partie des considérations prioritaires du juge (« primary consideration ») au moment de façonner la peine (article 718.01 C.cr.).
[160] Dans le cas qui nous occupe, le juge a déterminé la peine en ces termes :
[24] J’estime que les faits reprochés à l’accusé se situent dans une échelle de trois à six mois d’incarcération. En tenant compte des autres facteurs atténuant et des autres particularités mentionnées précédemment reliées au présent dossier, j’estime qu’une peine situé dans le bas de l’échelle, soit de trois mois d’incarcération, serait justifiée dans les circonstances.[98]
[161] L’économie générale de la sentence fait voir que le facteur dominant retenu par le juge fût la réhabilitation de l’intimé. Cependant, le juge n’explique pas pourquoi il s’écarte de la règle jurisprudentielle établie par notre Cour en 2018 dans l’arrêt Rayo[99] et reprise par la Cour suprême dans Friesen[100] selon laquelle au premier stade de l’analyse, le juge de la peine chargé d’appliquer l’article 718.01 C.cr. doit accorder la priorité à la dissuasion et à la dénonciation.
[162] Le juge a donc commis une erreur de principe en dérogeant à cette règle et en n’expliquant pas pourquoi il a décidé d’accorder un poids plus important à la réhabilitation au détriment des objectifs de dénonciation et de dissuasion.