R. c. Beaulieu Boismenu, 2024 QCCA 1074

En l’espèce, les faits exposés portant sur la mécanique de l’agression ont soulevé ce doute. Peut-être que la preuve aurait convaincu un autre juge ou peut-être qu’une preuve différente aurait démontré la vraisemblance de ce qui a été décrit, mais cela n’est plus pertinent en appel sur une question de fait. La décision appartenait au juge et la loi ne confère aucun droit d’appel au ministère public sur ce point. Je n’y vois aucun stéréotype; la conclusion est fondée sur la preuve.

JUGE VAUCLAIR

[8]         En l’espèce, le juge affirme sans nuance croire la version de l’intimé qui a nié avoir commis l’actus reus de l’agression sexuelle. Cela n’est pas attaqué en appel.

[9]         Ce que le ministère public met de l’avant, c’est l’idée que le juge a sombré dans l’évaluation à l’aide d’un stéréotype et qu’il a tiré une conclusion de fait qui n’est appuyée par aucun élément de preuve, soit la non-faisabilité des gestes rapportés par la plaignante. Ces moyens ne résistent aucunement à l’analyse et il peut être tentant, dans les circonstances, d’y voir une autre tentative de la part du ministère public de transformer une question de fait en question de droit afin de porter en appel une décision alors qu’il est manifestement dépourvu du droit de le faire.

[10]      Il y a trois choses à dire sur les moyens invoqués. D’abord, l’invraisemblance de la preuve sur la description de l’agression a laissé un doute dans l’esprit du juge que l’agression a eu lieu. Ce doute doit bénéficier à l’intimé. Il s’agit d’une question de fait. En l’espèce, les faits exposés portant sur la mécanique de l’agression ont soulevé ce doute. Peut-être que la preuve aurait convaincu un autre juge ou peut-être qu’une preuve différente aurait démontré la vraisemblance de ce qui a été décrit, mais cela n’est plus pertinent en appel sur une question de fait. La décision appartenait au juge et la loi ne confère aucun droit d’appel au ministère public sur ce point. Je n’y vois aucun stéréotype; la conclusion est fondée sur la preuve.

[11]      Même s’il fallait y voir une erreur, ce qui n’est pas le cas, la crédibilité du récit de la plaignante n’est pas écartée uniquement en raison de la description de l’agression sexuelle, mais également en raison des contradictions entre son témoignage et la version donnée aux policiers. Selon le juge, la témoin a bonifié sa version au procès, effritant la confiance qu’il pouvait avoir dans son témoignage. Je n’y vois aucun stéréotype; la conclusion fondée sur la preuve. Cette conclusion sur la crédibilité de la plaignante est tout aussi fatale et dépourvue d’erreur.

Comme le rappelait la Cour suprême, « une conclusion de fait qui n’est appuyée par aucun élément de preuve constitue une erreur de droit : Schuldt c. La Reine, 1985 CanLII 20 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 592, p. 604.  Il ne découle toutefois pas de ce principe qu’un acquittement peut être annulé parce qu’il n’est pas appuyé par la preuve »

[12]      Enfin, l’arrêt R. c. Kruk, 2024 CSC 7, n’est d’aucun secours au ministère public même s’il fallait conclure, comme il le suggère, que le juge a inféré « une conclusion de fait qui n’est appuyée par aucun élément de preuve, soit la non-faisabilité des gestes rapportés par la plaignante ». Comme le rappelait la Cour suprême, « une conclusion de fait qui n’est appuyée par aucun élément de preuve constitue une erreur de droit : Schuldt c. La Reine, 1985 CanLII 20 (CSC), [1985] 2 R.C.S. 592, p. 604.  Il ne découle toutefois pas de ce principe qu’un acquittement peut être annulé parce qu’il n’est pas appuyé par la preuve » : R. c. J.M.H., 2011 CSC 45 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 197, par. 25, cité dans l’arrêt R. c. Kruk, 2024 CSC 7, par. 96. Partant, cela ne confère au ministère public aucun droit d’appel. Cela clôt le débat, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’aller plus loin.

JUGE BACHAND

Dans Kruk, la Cour suprême a pris soin de souligner que le concept de stéréotypes a trait à des généralisations qui tirent leur source dans des idées discriminatoires envers les plaignantes en matière d’agression sexuelle et qui sont susceptibles de fausser l’analyse de la question cruciale du consentement.

[24]      J’estime que l’intimé a également raison en ce qui a trait à la nature de la question soulevée par le second moyen du ministère public. Dans Kruk, la Cour suprême a pris soin de souligner que le concept de stéréotypes a trait à des généralisations qui tirent leur source dans des idées discriminatoires envers les plaignantes en matière d’agression sexuelle et qui sont susceptibles de fausser l’analyse de la question cruciale du consentement[11] :

Le caractère discriminatoire des stéréotypes ressort clairement de la façon dont notre Cour a interprété, dans sa jurisprudence, les stéréotypes concernant les plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle. Le recours à de tels stéréotypes a été reconnu comme une erreur de droit dans le but exprès d’éliminer la discrimination contre les femmes et de promouvoir leur dignité et leur égalité dans le système de justice. Par exemple, l’exigence qu’une femme « crie haro » reposait sur l’hypothèse maintenant discréditée selon laquelle, étant donné que le viol était la pire chose qui puisse arriver à une femme, toute victime crédible révélerait sur‑le‑champ ce qui est arrivé à la première personne qu’elle croiserait. Par conséquent, c’est maintenant une erreur de droit que de tirer une conclusion défavorable du simple fait que la plaignante n’a pas rapporté immédiatement l’agression (D.D., par. 65). L’exigence historique visant la corroboration du témoignage d’une plaignante, maintenant abolie, reposait sur l’hypothèse discriminatoire suivant laquelle le témoignage d’une femme n’était pas, en droit, égal à celui d’un homme. Les deux mythes, maintenant interdits par l’art. 276 du Code, étaient encore une fois fondés sur l’idée discriminatoire que les femmes ayant eu des rapports sexuels étaient peu dignes de confiance et ne méritaient pas l’égalité de traitement devant la loi et le respect égal (Seaboyer). Les stéréotypes négatifs à l’endroit des plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle ont été reconnus comme donnant lieu à des erreurs de droit parce qu’ils tiraient souvent leur origine du droit, ont été consignés dans la loi et reposaient sur une mauvaise interprétation de la définition maintenant claire du consentement, soit l’accord volontaire et communiqué à l’activité sexuelle en question — une mauvaise interprétation qui minait le principe au cœur de la même justice pour tous.

[Soulignements ajoutés; italiques dans l’original]

[25]      Or, rien dans le présent dossier ne donne à penser qu’en rejetant le témoignage de la plaignante quant à son utilisation de papier hygiénique immédiatement après l’agression, le juge aurait fait appel à une telle généralisation. En conséquence, en s’attaquant à cet aspect de son raisonnement, le ministère public met de l’avant un moyen qui, là encore, ne soulève qu’une question de fait.