Développement jurisprudentielle quant à la méthode raisonnée et le critère de nécessité.
[42] Cela dit, puisque les parties ont plaidé la question, j’y répondrai succinctement. Je commence par souligner que le dossier n’est pas très clair sur le fondement retenu pour l’admissibilité du témoignage. Dans la mesure où il faut comprendre que le juge autorise le dépôt du témoignage suivant l’article 715 C.cr., il s’agit d’une erreur dans les circonstances.
[43] Cependant, et contrairement à ce que plaide l’appelant, l’erreur ne provient pas du fait qu’il a mené le contre-interrogatoire du témoin dans l’ignorance d’informations obtenues plus tard. Il ne peut non plus soutenir qu’un contre-interrogatoire est en soi très différent lorsqu’il se déroule à l’enquête préliminaire ou au procès pour écarter l’application de l’article.
[44] La jurisprudence exige que l’appelant ait eu l’occasion de contre-interroger le témoin lors de l’enquête préliminaire et la façon dont il se prévaut de cette occasion n’est pas, en principe, pertinente pour déterminer si la condition d’admissibilité est satisfaite. De nouvelles informations obtenues après l’enquête préliminaire n’ont pas d’impact, en principe, sur la qualité de l’occasion de contre-interroger. Ces nouveaux éléments jouent plutôt sur l’équité de déposer au procès le témoignage rendu à l’enquête préliminaire, décision qui relève du pouvoir discrétionnaire du juge en vertu du même article[4]. L’appelant ne démontre pas qu’il y aurait lieu d’intervenir sur cet aspect de la décision du juge.
[45] Je suis par ailleurs d’avis que la simple absence d’un témoin dûment signifié, qui se trouve toujours au Canada, ne peut pas équivaloir à un refus de témoigner ou de prêter serment au sens de l’article 715 du Code dans les circonstances[5]. Interpréter aussi largement l’article 715 C.cr. rend redondantes, voire inutiles, les précisions qu’il apporte, à savoir le décès, la maladie (physique ou mentale), ou l’absence du Canada.
[46] Si les circonstances ne satisfont pas les conditions édictées, celles de l’exception raisonnée au ouï-dire, soit la nécessité et la fiabilité, pouvaient autoriser le dépôt du témoignage. Depuis l’arrêt Hawkins, un témoignage complet rendu sous serment à une enquête préliminaire satisfait, en principe, le seuil de fiabilité pour son admissibilité[6], étant entendu que l’évaluation de la fiabilité finale revient au juge des faits[7]. C’est plutôt le critère de nécessité qui présentait, ici, le véritable défi pour le ministère public.
[47] Il est bien entendu qu’une partie, en l’occurrence le ministère public, ne peut créer de toutes pièces la nécessité. La jurisprudence requiert en effet des efforts pour amener la meilleure preuve devant le tribunal. À titre d’exemples, la nécessité peut ne pas être reconnue si la partie qui veut se prévaloir de l’exception raisonnée a omis d’assigner un témoin[8], de déployer des efforts pour le retrouver[9] ou encore pour préserver la preuve[10]. On sait également que le simple inconfort, la crainte ou le manque d’enthousiasme à témoigner, sans plus, ne suffisent pas[11] à satisfaire le critère de nécessité.
[48] Même s’il est vrai que les critères de nécessité et de fiabilité sont évalués ensemble et que face à une preuve suffisamment fiable, l’exigence de nécessité peut être plus souple[12], la règle n’épargne pas l’examen de la source de la nécessité. En l’espèce, il est douteux que les efforts déployés pour retrouver le témoin aient été à la hauteur. Selon la preuve, il s’agit d’un jeune homme qui a toujours affirmé qu’il témoignerait, qui habite avec sa mère, qui est manifestement en contact avec elle, et par conséquent, le coefficient de difficulté pour retrouver le témoin et l’amener à la Cour ne semble pas très élevé. En l’espèce, les « vérifications » effectuées par les policiers ne sont que des visites à domicile. La preuve ne permet pas de comprendre pourquoi les policiers n’avaient aucune piste pour retrouver le témoin malgré la coopération évidente de la mère.
[49] Je ne crois pas que le juge était en présence d’une preuve démontrant « l’inexistence de toute possibilité raisonnable que [le témoin] soit disponible pour témoigner à l’intérieur d’un délai acceptable »[13]. En outre, l’insistance du ministère public à propos de la suite du procès, le mercredi suivant, et de la nécessité d’éviter des délais supplémentaires était, dans les circonstances, prématurée et n’avait pas sa place dans l’analyse.
[50] Quoi qu’il en soit, l’erreur a peu d’incidence sur le sort du procès, car nonobstant le témoignage de Madge, le juge conclut à la culpabilité en raison d’une preuve différente, à savoir les faits rapportés par le témoin civil et la preuve matérielle. Il appert donc que l’erreur est totalement inoffensive, n’ayant aucune incidence sur le verdict[14].