Turcotte c. R., 2017 QCCQ 4017
Le requérant prétend que l’arrestation était fondée sur des soupçons et non sur des motifs raisonnables.
[15] En vertu de l’article 495 (1) C.cr., un agent de la paix peut procéder à une arrestation sans mandat s’il a des motifs raisonnables de croire que l’accusé a commis une infraction. Suivant les critères établis dans l’arrêt R. C. Storrey, (1990) 1990 CanLII 125 (CSC), 1 R.C.S. 241, le test est le suivant :
« En résumé donc, le Code criminel exige que l’agent de police qui effectue une arrestation ait subjectivement des motifs raisonnables et probables d’y procéder. Ces motifs doivent en outre être objectivement justifiables, c’est-à-dire qu’une personne raisonnable se trouvant à la place de l’agent de police doit pouvoir conclure qu’il y avait effectivement des motifs raisonnables et probables de procéder à l’arrestation. Par ailleurs, la police n’a pas à démontrer davantage que l’existence de motifs raisonnables et probables. Plus précisément, elle n’est pas tenue, pour procéder à l’arrestation, d’établir une preuve suffisante à première vue pour justifier une déclaration de culpabilité. » (p. 250, 251).
[16] L’article 254 (3.1) C.cr. exige que l’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis une infraction à l’article 253 par suite de l’absorption d’une drogue ou d’une combinaison d’alcool et de drogue peut lui ordonner de se soumettre à une évaluation afin que l’agent évaluateur vérifie si sa capacité de conduire un véhicule à moteur est affectée par suite d’une telle absorption.
[17] La Cour suprême a de plus balisé cette notion de « motifs raisonnables » dans des arrêts postérieurs, notamment dans R. c. Bernshaw, (1995) 1995 CanLII 150 (CSC), 1 R.C.S. 254 et R. c. Shepherd, (2009) 2009 CSC 35 (CanLII), 2 R.C.S. 527, déposé en même temps que l’arrêt R. c. Grant, (2009) 2009 CSC 32 (CanLII), 2 R.C.S. 353. La Cour suprême écrit dans Shepherd:
« [17] Comme notre Cour l’a fait remarquer dans Bernshaw, la preuve de l’existence de motifs raisonnables comporte un élément subjectif et un élément objectif. Cela signifie que le policier doit croire sincèrement que le suspect a commis l’infraction prévue à l’art. 253 du Code criminel, et que cette croyance doit être fondée sur des motifs raisonnables (Bernshaw, par. 48). En l’espèce, personne ne conteste que le policier croyait subjectivement que M. Shepherd était ivre. Les tribunaux d’instance inférieure diffèrent toutefois d’opinion quant à savoir s’il s’agissait, compte tenu des circonstances, d’une croyance subjective raisonnable. »
[18] Le policier n’a pas à fournir une preuve suffisante à première vue (preuve prima facie) justifiant une déclaration de culpabilité pour poursuivre son enquête (Shepherd, par. 23). Le policier doit croire sincèrement que la personne a commis l’infraction et une personne raisonnable doit pouvoir conclure de la même façon pour que les motifs soient considérés raisonnables.
[19] Le Tribunal rappelle les faits pertinents:
– Le véhicule roule rapidement et dérape sur la route 139 et la rue Beaumont.
– Les gyrophares du véhicule patrouille sont en fonction avant la rue Miner.
– Malgré la poursuite sur 1 à 2 kilomètres, le véhicule ne s’arrête pas.
– Il semble tenter de s’esquiver, vers 4 heures du matin, après la fermeture des bars.
– Il tourne sur la rue Mercier et arrête dans une entrée de cour.
– Le requérant raconte une histoire fausse concernant le fait qu’il soit arrêté chez sa copine Roxanne et il finit par avouer qu’il ne connaît personne à cet endroit, qu’il a stationné là parce qu’on le suivait.
– Il continue de mentir en prétendant vouloir aller chez lui, mais confronté au fait qu’il ne circule pas dans la bonne direction, il change sa version pour prétendre qu’il veut aller à Granby.
– Il est nerveux et a une haleine d’alcool.
– Son langage est plutôt lent, il est incapable de prononcer correctement certaines paroles telles qu’assurance et immatriculation, disant plutôt « affurance » et « inatriculation ».
– Il transfère constamment son poids d’une jambe à l’autre.
– Malgré une température de moins 1° degré Celsius, il se met à suer abondamment dans le visage et dans le cuir chevelu, ses cheveux sont mouillés, la sueur dégoûte par terre.
– Il a les pupilles dilatées.
– Le résultat de l’ADA est « caution », soit entre 50 et 100 milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang.
– Les deux policiers disent qu’ils font face à un individu ayant clairement les capacités affaiblies.
[20] De l’ensemble de ces observations et informations, le policier pouvait conclure que l’accusé, « more likely than not » (R. c. Bouchard, 2008 QCCA 2260 (CanLII), par. 12) avait conduit en état de capacités affaiblies et une personne raisonnable pouvait objectivement arriver à la même conclusion, sur la base de ces faits, de motifs raisonnables.
[21] En conclusion, il n’y a pas eu de violation. La requête est mal fondée et elle doit échouer.