A. Témoignage à huis clos
[51] Malgré l’importance certaine du principe de la publicité des débats judiciaires, le par. 486(1) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46 confère au juge du procès un pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’exclure le public de la salle d’audience dans certains cas, notamment lorsque la mesure est dans l’intérêt de « la bonne administration de la justice ». Dans l’arrêt Société Radio‑Canada c. Nouveau‑Brunswick (Procureur général), 1996 CanLII 184 (CSC), [1996] 3 R.C.S. 480, la Cour énonce trois éléments à considérer avant de rendre une ordonnance en ce sens : 1) l’existence d’autres mesures raisonnables et efficaces, 2) la portée aussi circonscrite que possible de l’ordonnance et 3) l’importance des objectifs de l’ordonnance et de ses effets probables par rapport à celle de la publicité des débats et de l’activité d’expression qui sera restreinte.
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B. Admissibilité des aveux issus de l’opération Monsieur Big
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[63] Dans les affaires où la technique a été utilisée, les aveux obtenus ont généralement été admis en preuve au procès. Selon la jurisprudence actuelle, ils le sont sur le fondement de l’exception à la règle du ouï‑dire qui s’applique aux déclarations de l’intéressé (voir R. c. Evans, 1993 CanLII 86 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 653, p. 664; R. c. Osmar, 2007 ONCA 50 (CanLII), 2007 ONCA 50, 84 O.R. (3d) 321, par. 53). L’admissibilité des déclarations de l’intéressé découle de la nature contradictoire du débat judiciaire et de la croyance selon laquelle « les déclarations antérieures d’une [personne] peuvent être admises contre [elle, car elle] ne peut se plaindre de la non‑fiabilité de ses propres déclarations » (Evans, p. 664).
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[71] La règle des confessions protège donc contre le risque d’aveux non dignes de foi par l’exigence faite au ministère public de prouver hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire de la déclaration de l’accusé. Lorsque le ministère public ne peut offrir cette preuve, la déclaration de l’accusé est inadmissible.
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- a) Résumé de la solution préconisée
[84] Dans la présente partie, je propose la solution qui, à mon avis, offre le meilleur équilibre entre la prévention des risques associés à une opération Monsieur Big et la mise à la disposition de la police des moyens nécessaires à ses enquêtes sur des crimes graves. Cette solution suppose une démarche à deux volets qui (1) consacre une nouvelle règle de preuve en common law et (2) repose sur une approche plus vigoureuse de la doctrine de l’abus de procédure pour remédier au problème du comportement répréhensible des policiers.
[85] Le premier volet de la démarche consacre une nouvelle règle de preuve en common law pour déterminer si l’aveu est admissible ou non. En voici la teneur. Lorsque l’État amène une personne à se joindre à une organisation criminelle fictive de son cru et qu’il tente d’obtenir d’elle un aveu, l’aveu alors recueilli est présumé inadmissible. Cette présomption d’inadmissibilité est réfutée si le ministère public prouve, selon la prépondérance des probabilités, que la valeur probante de l’aveu l’emporte sur son effet préjudiciable. Dans ce contexte, la valeur probante de l’aveu tient à sa fiabilité. Son effet préjudiciable découle de la preuve de mauvaise moralité qui doit être admise afin de situer dans leur contexte l’opération et l’aveu obtenu. Si le ministère public n’est pas en mesure de démontrer que l’aveu de l’accusé est admissible, les autres éléments de preuve liés à l’opération Monsieur Big deviennent non pertinents et sont donc inadmissibles. À l’instar de la règle des confessions qui s’applique à l’interrogatoire de police classique, cette règle apporte une restriction spécifique à l’exception à la règle du ouï‑dire qui vaut pour les déclarations de l’intéressé[5].
[86] En deuxième lieu, je m’en remets à la doctrine de l’abus de procédure pour résoudre le problème du comportement répréhensible des policiers. Je reconnais que, jusqu’à maintenant, la doctrine s’est révélée moins qu’efficace en la matière. Il est vrai que le problème n’est pas simple. Je propose néanmoins de donner certaines indications sur la façon de déterminer si, dans le cadre d’une opération Monsieur Big, la ligne qui sépare le travail judicieux des policiers de l’abus de procédure a été franchie.
[87] Cette démarche à deux volets vise à protéger le droit à un procès équitable que la Charte confère à l’accusé et à préserver l’intégrité du système de justice. Tels sont les objectifs qui doivent être atteints au final. On s’efforce dès lors de faire en sorte que seul soit admis en preuve l’aveu qui se révèle plus probant que préjudiciable et qui ne résulte pas d’un abus.
[88] Il faut toutefois se rappeler que le juge du procès demeure toujours investi d’un pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’écarter l’élément de preuve dont l’admission compromettrait l’équité du procès (voir p. ex. R. c. Harrer, 1995 CanLII 70 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 562). Il en est ainsi parce que « le principe général que l’accusé a droit à un procès équitable ne peut pas être entièrement réduit à certaines règles précises » (ibid., par. 23). Il est impossible de prévoir tous les cas de figure susceptibles de se présenter. Je n’écarte donc pas l’éventualité que, dans un cas exceptionnel, l’équité du procès commande l’exclusion de l’aveu issu d’une opération Monsieur Big même s’il est admissible suivant les règles précises dont je propose l’application en l’espèce.
[89] Dans les faits, la démarche à deux volets nécessitera la tenue d’un voir‑dire pour déterminer si l’aveu est admissible ou non. Il incombera alors au ministère public d’établir selon la prépondérance des probabilités que la valeur probante de l’aveu l’emporte sur son effet préjudiciable, puis il appartiendra à la défense de prouver l’abus de procédure, s’il y a lieu. Le juge du procès pourra entreprendre son analyse en examinant d’abord s’il y a eu abus de procédure, car une réponse affirmative rendra inutile la mise en balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable.
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f) Quelle est la fonction de la doctrine de l’abus de procédure?
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[114] Je reconnais que, à ce jour, la doctrine a offert bien peu de protection dans le contexte des opérations Monsieur Big. C’est peut‑être en partie à cause de l’arrêt R. c. Fliss, 2002 CSC 16 (CanLII), 2002 CSC 16, [2002] 1 R.C.S. 535, où le juge Binnie, au nom des juges majoritaires de la Cour, voit dans la technique Monsieur Big une manifestation du « travail habile des policiers » (par. 21). Or, la solution réside à mon avis dans un nouvel essor donné à l’application de la doctrine dans ce contexte, et non dans l’établissement d’un nouveau cadre d’analyse pour contrer le même problème. La première étape de la redynamisation de la doctrine comme rempart efficace contre l’abus policier est de rappeler aux juges qu’une opération Monsieur Big peut devenir abusive et qu’ils doivent examiner attentivement la manière donc les policiers l’ont menée.
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g) Pourquoi recourir à cette démarche à deux volets?
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[121] Je m’en remets à une règle de preuve de common law pour résoudre les problèmes de fiabilité et d’effet préjudiciable que pose l’aveu. La preuve non digne de foi et préjudiciable met assurément en jeu des droits garantis par la Charte, notamment ceux à un procès équitable et à la présomption d’innocence. Cependant, en common law, les règles de preuve peuvent — et doivent pouvoir — protéger les droits constitutionnels de l’accusé. Il va de soi que la common law doit évoluer dans le respect des valeurs fondamentales consacrées par la Charte (voir SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., 1986 CanLII 5 (CSC), [1986] 2 R.C.S. 573, p. 603). Nos règles de preuve ont intégré cet impératif constitutionnel pour devenir des instruments souples et raisonnés [traduction] « très soucieux du droit de l’accusé à l’application régulière de la loi » (D. Paciocco, « Charter Tracks : Twenty‑Five Years of Constitutional Influence on the Criminal Trial Process and Rules of Evidence » (2008), 40 S.C.L.R. (2d) 309, p. 311). La règle de preuve de common law que je propose s’inscrit bien dans la démarche de la Cour postérieure à l’adoption de la Charte.
[122] S’agissant du comportement répréhensible des policiers, je m’en remets à la doctrine de l’abus de procédure, ce qui est logique car, je le rappelle, celle‑ci vise à prévenir le comportement répréhensible de l’État qui compromet l’intégrité du système de justice et l’équité du procès. Qui plus est, une notion d’abus de procédure offre depuis longtemps une protection résiduelle contre les tactiques déloyales auxquelles peut recourir la police lors d’un interrogatoire habituel (voirOickle, par. 65 à 67; Rothman c. La Reine, 1981 CanLII 23 (CSC), [1981] 1 R.C.S. 640, p. 697). L’application de la doctrine convient donc lorsqu’il s’agit de réfréner le comportement policier répréhensible dans le contexte considéré en l’espèce.
[123] La démarche à deux volets que je propose répond aussi aux exigences du principe interdisant l’auto‑incrimination, un principe qui vise la protection contre deux choses : les abus de pouvoir de l’État et les aveux non dignes de foi (Hebert, p. 175; R. c. Jones, 1994 CanLII 85 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 229, p. 250). Ces protections traduisent « la valeur qu’attribue la société canadienne à la vie privée, à l’autonomie personnelle et à la dignité » (White, par. 43). Ce principe ne tient cependant pas lieu de protection juridique indépendante, mais bien de « principe directeur général de droit criminel, dont il est possible de tirer des règles particulières » (Jones, p. 249). Lorsque sa raison d’être donne à penser qu’une protection juridique s’impose dans un contexte particulier alors que la loi n’en prévoit aucune, le principe peut servir d’assise à la création de nouvelles règles qui « varient selon le contexte » afin de combler cette lacune (White, par. 45)[9]. À mon avis, la règle de preuve de common law que je propose, de pair avec l’application de la doctrine de l’abus de procédure, offre une nouvelle protection juridique tirée du principe général et de sa raison d’être.