La norme d’intervention applicable à la décision du juge d’instance d’imposer une peine concurrente ou consécutive est élevée.
[17] La Cour rappelait récemment dans l’arrêt R. c. N.L.[12] que la norme d’intervention applicable à la décision du juge d’instance d’imposer une peine concurrente ou consécutive est élevée. En effet, une cour d’appel doit faire preuve à l’égard de cette décision de la même déférence que celle due à l’exercice de détermination de la peine proprement dite. Elle ne peut en conséquence intervenir qu’en présence d’une erreur de principe ou d’une démonstration que le juge n’a pas tenu compte de certains facteurs, ou encore qu’il a infligé une peine qui, dans l’ensemble, n’est manifestement pas indiquée[13].
[18] Tout aussi récemment, la Cour ajoutait ce qui suit dans l’arrêt Vera Camacho c. R.[14] :
[25] Il n’est pas contesté non plus qu’un juge dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour imposer des peines concurrentes ou consécutives. Dans l’arrêt Guerrero-Silva, la Cour rappelait que « [b]ien que la décision d’ordonner des peines concurrentes ou consécutives relève de la discrétion du juge, il demeure qu’en principe les crimes constituants des transactions criminelles distinctes entraînent, sous réserve du principe de la totalité, des peines consécutives. » : (…) Il en découle que « [l]orsque les infractions sont commises à différents moments contre différentes victimes, les peines seront généralement consécutives. » (…)
[26] Ainsi, les tribunaux ont toujours été conscients que la perpétration de plusieurs crimes distincts entraîne généralement, mais pas obligatoirement, des peines consécutives. Le principe de la proportionnalité est toujours primordial dans l’exercice de leur discrétion.
[Soulignements ajoutés; renvois omis]
[19] Par ailleurs, la Cour précise dans l’arrêt R. c. N.L. que la difficulté de saisir le raisonnement du juge d’instance à l’appui de sa décision d’imposer certaines peines de manière concurrente plutôt que consécutive, alors que les infractions en cause constituent des événements distincts, qu’elles visent la protection d’intérêts sociétaux différents et qu’elles impliquent des victimes différentes, diminue d’autant la déférence dont elle doit faire preuve[15].
L’imposition d’une peine consécutive découle du principe de base applicable en matière « d’infractions multiples ne comportant pas entre elles de liens étroits », lequel principe emporte celui qu’il est « approprié d’imposer des peines consécutives lorsque l’infraction commise découle de transactions criminelles distinctes ».
[24] L’auteur Ruby commente l’évolution de cette disposition législative de la façon suivante :
§14.4 The passage of section 718.3 in 1995 changed the rules with respect to imposing consecutive sentences where an offender is being sentenced for a new offence, and is already serving a sentence for a previous offence. Prior to this change, pursuant to the former section 645(4), a judge could order that a sentence for a new offence be made consecutive to a sentence for a previous offence only if the sentence for the previous offence had already been imposed at the time of the conviction for the new offence. The passage of section 718.3(4)(a) changed this rule by permitting a judge to make a sentence for a new offence consecutive to the sentence for a previous offence if the offender is sentenced while “under sentence” for the previous offence. Thus, the relevant date for the purpose of imposing a consecutive sentence is the date of sentencing for the new offence, and not the date of conviction. Section 718.3(4)(a), as amended in 2015, retains the date of sentencing for the new offence as the relevant date. Therefore, pursuant to section 718.3(4), a judge may order that a sentence be served consecutive to another sentence he imposes at the same time. He cannot, however, order that a sentence be made consecutive to one imposed by another judge in another case unless that sentence had already been imposed by the other judge at the time of the sentencing in the case in which he is imposing a sentence.[16]
[Soulignements et caractères gras ajoutés; renvois omis]
[25] Or, en l’espèce le verdict de culpabilité dans le dossier Hydro‑Québec (13 septembre 2018), ainsi que la peine (10 décembre 2018) avaient déjà été prononcés le 16 septembre 2019, lorsque le juge avait à imposer une peine à l’intimé relativement aux crimes dont il l’avait trouvé coupable. Le fait que l’intimé avait formé un appel contre le verdict dans le dossier Hydro-Québec n’y change rien.
[26] Ainsi, comme l’indique l’auteur Ruby dans l’extrait précité de son ouvrage Sentencing, la date phare pour l’imposition de peines consécutives dans des dossiers distincts est celle du prononcé de la peine dans le deuxième dossier. Si, à cette date, l’accusé est déjà assujetti à une autre peine d’emprisonnement, le juge peut envisager ordonner une peine consécutive conformément à l’alinéa 718.3(4)a) C.cr. C’était le cas en l’espèce.
[27] Le juge se méprend donc sur les principes applicables lorsque, pour justifier son refus d’imposer une peine consécutive à l’intimé, il invoque, au paragraphe 39 de ses motifs, que les « délits pour lequel [sic] le Tribunal a déclaré coupable l’accusé ont été commis avant le délit dit Hydro-Québec »[17]. Il commet la même erreur au paragraphe 45 lorsqu’il réitère que : « [l]es crimes pour lesquels le Tribunal a trouvé l’accusé coupable sont survenus avant la condamnation de la date [sic] des crimes concernant Hydro‑Québec, dont il y a appel » [soulignements ajoutés]. Le juge commet aussi une erreur de principe dans la mesure où, comme semble le suggérer le paragraphe 34 précité de ses motifs, il s’est abstenu de considérer la possibilité d’imposer à l’intimé une peine d’emprisonnement à être purgée consécutivement à celle dans le dossier Hydro‑Québec parce que, suite au jugement qu’il allait rendre, ce dernier « subirait » sa première sentence d’emprisonnement, vu son appel du verdict dans le dossier Hydro‑Québec et sa mise en liberté provisoire durant l’instance.
[28] En fait, de tels motifs sont en tous points semblables à ceux qu’avait énoncés le juge de la peine dans l’arrêt R. c. Keats[18], et à l’égard desquels la Cour d’appel de Nouvelle-Écosse a jugé nécessaire d’intervenir :
[22] It is apparent that the judge thought that Mr. Keats being a first-time offender for purposes of the sentencing was a bar to a consecutive sentence being imposed. As I will explain, the timing of the offence involving BW is neither a bar nor a constraint. The judge was incorrect in holding this view and this view undoubtedly had a material impact on his reasoning as to whether to impose concurrent or consecutive sentences.
[…]
[33] […] With respect, he incorrectly saw the timing of the May 26, 2013 offence respecting BW as a restriction. The judge raised this point with counsel during oral submissions. Then, in his decision, he expressly stated this wrongly perceived limiting factor as a reason for making the decision he did.
[…]
[37] I am satisfied that the judge was unduly influenced by the need to treat Mr. Keats as a first-time offender for purposes of the sentencing—to the point he perceived this as a bar to making the 30-month sentence consecutive to the four‑year sentence Mr. Keats was serving. Put another way, he wrongly perceived that his discretion to impose consecutive sentences was curtailed by the timing of BW’s offence.
[38] In my view, this was an error in principle that materially impacted the sentence imposed—to the point that ordering the sentence imposed for the assaults against TH and ML to be served concurrently with the sentence for the assault against BW was demonstrably unfit. Appellate intervention is warranted.
[…]
[50] In my view, the 30-month sentence should be served consecutive to the four-year sentence. It is not unduly long or harsh; rather, it is proportionate to the gravity of the offences and reflective of Mr. Keats’ overall moral blameworthiness and breach of trust.
[Soulignements ajoutés]
[29] Comme l’écrit aussi l’auteur Ruby :
§14.5 An offender was considered “under sentence” and therefore liable to a consecutive term even though he has appealed his conviction and has been allowed out on bail pending that appeal, unless the sentence of the lower court has been stayed. The 2015 changes to section 718.3(4)(a) replaced the language of “under sentence” with “a sentence of imprisonment to which the accused is subject”.[19]
[Soulignement ajouté]
[30] Deuxièmement, au risque d’une variation sur le thème précédent, alors qu’il ressort clairement de son jugement que le juge a noté que les crimes dont il avait déclaré l’intimé coupable étaient de natures différentes, avaient été commis à l’égard d’autres victimes et à d’autres dates que les méfaits dont son collègue l’avait déclaré coupable dans le dossier Hydro-Québec, il n’explique pas dans ses motifs pourquoi il écarte la règle générale précitée, souvent réitérée et selon laquelle les peines doivent dans de telles circonstances être imposées de façon consécutive. Comme l’observent les auteurs Parent et Desrosiers, jurisprudence à l’appui, l’imposition d’une peine consécutive découle du principe de base applicable en matière « d’infractions multiples ne comportant pas entre elles de liens étroits », lequel principe emporte celui qu’il est « approprié d’imposer des peines consécutives lorsque l’infraction commise découle de transactions criminelles distinctes »[20].
[31] Bien que dans un tout autre contexte, la Cour suprême rappelait cette règle générale de la façon suivante dans l’arrêt Friesen :
[155] La décision d’infliger des peines concurrentes ou consécutives repose sur des principes. Bien que la question mérite qu’on s’y attarde davantage dans une autre affaire, la règle générale veut que les infractions étroitement liées au point de constituer un incident criminel unique puissent, sans que cela soit obligatoire, donner lieu à des peines concurrentes, et que toutes les autres infractions doivent donner lieu à des peines consécutives […].[21]
Bien que les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale doivent être pondérés avec soin afin d’éviter une peine disproportionnée, il faut leur reconnaître leur utilité générale.
[45] Huitièmement, bien que les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale doivent être pondérés avec soin afin d’éviter une peine disproportionnée, il faut leur reconnaître leur utilité générale[31], précisément ici compte tenu des circonstances particulières révélées par la preuve. Les crimes graves dont l’intimé a été déclaré coupable visaient en effet, intentionnellement et par soif de vengeance, des officiers publics, et ce, précisément en raison de gestes ou de décisions qu’ils avaient posés ou prises à son égard dans l’exercice impartial et désintéressé de leurs fonctions respectives. Il importe de dénoncer avec vigueur ce type de comportement prémédité, planifié et exécuté sur une longue période de temps, et de dissuader les membres du public d’envisager même l’adopter en vue de contester et punir par représailles d’autres officiers publics en raison des leurs actes ou décisions, posés et prises dans le cadre de leurs fonctions.
[46] Comme le soulignait le juge en chef Lamer dans R. c. M. (C.A.) :
81 […] Bref, une peine assortie d’un élément réprobateur représente une déclaration collective, ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu’elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel. Comme l’a dit le lord juge Lawton dans R. c. Sargeant (1974), 60 Cr. App. R. 74, à la p. 77: [TRADUCTION] «la société doit, par l’entremise des tribunaux, communiquer sa répulsion à l’égard de certains crimes, et les peines qu’ils infligent sont le seul moyen qu’ont les tribunaux de transmettre ce message». La pertinence du châtiment et de la réprobation en tant qu’objectifs de la détermination de la peine fait bien ressortir que notre système de justice pénale n’est pas simplement un vaste régime de sanctions négatives visant à empêcher les conduites objectivement préjudiciables en haussant le coût que doit supporter le contrevenant qui commet une infraction énumérée. Notre droit criminel est également un système de valeurs. La peine qui exprime la réprobation de la société est uniquement le moyen par lequel ces valeurs sont communiquées. En résumé, en plus d’attacher des conséquences négatives aux comportements indésirables, les peines infligées par les tribunaux devraient également être infligées d’une manière propre à enseigner de manière positive la gamme fondamentale des valeurs communes que partagent l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes et qui sont exprimées par le Code criminel.[32]
[47] Enfin, et neuvièmement, dans les circonstances très particulières de l’espèce, l’imposition de la peine de neuf ans consécutivement à celle imposée dans le dossier Hydro-Québec, pour un total de 16 ans (moins la période de détention provisoire), ne saurait être contrecarrée par les principes de proportionnalité et de totalité de la peine.
[48] D’abord, la Cour suprême a précisé dans l’arrêt R. c. M. (C.A.)[33] que le principe de proportionnalité s’exprime en matière de peines consécutives sous la forme plus particulière du principe de totalité[34].
[49] Commentant le principe de proportionnalité dans l’arrêt Lacasse[35], le juge Wagner observait ce qui suit :
[12] En la matière, la proportionnalité demeure le principe cardinal qui doit guider l’examen par une cour d’appel de la justesse de la peine infligée à un délinquant. Plus le crime commis et ses conséquences sont graves, ou plus le degré de responsabilité du délinquant est élevé, plus la peine sera lourde. En d’autres mots, la sévérité de la peine ne dépend pas seulement de la gravité des conséquences du crime, mais également de la culpabilité morale du délinquant. […]